• Aux origines de l'état civil... Première partie : les registres paroissiaux.

    Aux origines de l'état civil... Première partie : les registres paroissiaux.

    L'état civil tel que nous le connaissons aujourd'hui remonte à la Révolution française. Mais sous l'Ancien Régime, il existait déjà, sous une autre forme, avec les registres de catholicité ou registres paroissiaux, à une époque où la religion catholique était la religion de l'Etat et où elle occupait une place très importante dans la vie de la majeure partie de la population française (1).

    Contrairement à une opinion communément répandue, l'obligation de tenir des registres pour y consigner les principales étapes de la vie d'un individu (naissance, baptême, mariage, sépulture) n'a pas été imposée par l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, connue surtout pour avoir fait du français la langue officielle du droit et de l'administration, en lieu et place du latin.

     

    1. Des registres dont les origines remontent à l'époque médiévale.

    En effet, dès la fin du Moyen Age, des curés tenaient déjà des registres. Les plus anciens remontent au XIVème siècle et n'étaient de fait que de simples livres de compte, puisque les curés y notaient les dons qu'ils percevaient de leurs fidèles à l'occasion des mariages ou des sépultures. De ces registres, il ne subsiste aujourd'hui que de rares spécimens, le plus ancien étant celui de la paroisse de Givry, près de Châlons-sur-Saône (1303-1357). Ces registres sont d'autant moins nombreux qu'ils relevaient davantage d'une initiative personnelle des curés que d'une incitation extérieure à la paroisse.

    Aux origines de l'état civil... Première partie : les registres paroissiaux.

    Le registre paroissial de Givry, le plus ancien de France conservé à ce jour.

    Au cours du XVème siècle, les registres paroissiaux se multiplient. Il sont alors tenus en vertu de prescriptions ecclésiastiques édictées par certains évêques, notamment afin de mettre en évidence les liens de parenté naturelle ou spirituelle (2) qui pouvaient faire obstacle aux mariages. On les trouve surtout dans des principautés et des Etats situés à la périphérie du royaume de France, et plus spécialement dans l'Ouest. Le plus ancien texte réglementaire émanait ainsi d'Henri le Barbu, évêque de Nantes, qui dans une ordonnance de 1406, prescrivait la tenue d'un registre dans chaque paroisse de son diocèse, dans lequel seraient inscrits les actes de baptême. Cette initiative fut ensuite imitée ailleurs en Bretagne (3).

    En France même, plusieurs statuts synodaux (4) cherchent à imposer la tenue de registres paroissiaux dans les premières années du XVIème siècle : Angers en 1504 (baptêmes), Lisieux en 1505 (baptêmes et mariages), Avignon (dont le ressort s'étendait au-delà des limites de l'Etat pontifical) en 1509 (baptêmes et sépultures), Paris en 1515 (baptêmes, mariages, sépultures). Etienne Poncher, évêque de Paris, justifiait cette mesure par la nécessité de faire respecter les prescriptions du droit canonique en matière matrimoniale et de lutter contre tous les maux en la matière : mariages entre cousins (consanguinité), inceste, concubinage... 

    2. Les premières législations royales : les ordonnances de Villers-Cotterêts (1539) et de Blois (1579).

    Des registres étaient donc déjà tenus dans de nombreux diocèses lorsque le pouvoir royal légiféra pour la première fois dans ce domaine, sous le règne de François Ier (1515-1547), avec l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. Celle-ci ne fait que prendre quelques dispositions particulières qui s'insèrent dans un ensemble de mesures concernant les bénéfices ecclésiastiques (5). Pour qu'un bénéfice soit conféré, il faut qu'il soit vacant et donc qu'on puisse prouver la mort du précédent titulaire, d'où l'obligation faite par l'article 50 pour "les chapitres, collèges, monastères et curés" de tenir des registres de sépultures "des personnes tenant bénéfice", dans lesquels il sera fait mention "du temps de la mort". Comme pour obtenir un bénéfice, il fallait obligatoirement être majeur, l'article 51 prescrit de tenir également un registre "en forme de preuve" des baptêmes, indiquant "le temps et l'heure de la nativité". Ce dernier article ne se limite pas uniquement aux bénéficiers, mais concerne tous les baptisés, hommes et femmes, tous susceptibles un jour d'être pourvus de bénéfices. Enfin, les articles 52 et 53 portent sur la manière dont les registres doivent être tenus et font obligation aux curés et communautés de déposer chaque année ceux-ci au greffe du bailli ou du sénéchal royal (6).

    Quarante ans plus tard, l'article 40 de l'ordonnance de Blois (1579) prend des dispositions complémentaires inspirées par la législation du concile de Trente (7) relative au mariage. Elle impose ainsi la proclamation des bans, ainsi que la présence de quatre témoins, qui devront apparaître sur les registres. L'article 181 rappelle, quant à lui, l'obligation annuelle pour les curés d'apporter les registres de baptêmes, mariages et sépultures (8) au greffe. Cette ordonnance nous montre que, dès la seconde moitié du XVIème siècle, le législateur considère comme acquise la tenue des registres paroissiaux, en se contentant simplement d'en fixer certaines modalités.

    3. L'évolution des registres paroissiaux aux XVIIème et XVIIIème siècles.

    Malgré ces premières législations royales, le comportement des curés ne semble avoir réellement évolué qu'avec la publication en France du Rituel Romain du pape Paul V. Ecrit en 1614, cet ouvrage liturgique, qui regroupe la liturgie d'un certain nombre de cérémonies catholiques, est diffusé dans le royaume de France à partir de 1623. Il rend obligatoire l'enregistrement des baptêmes, mariages et sépultures, ce qui n'était pas toujours fait auparavant (surtout pour les mariages et les sépultures).

    Aux origines de l'état civil... Première partie : les registres paroissiaux.

    Registre paroissial de Noirétable, archives départementales de la Loire, 2E 905.

    En 1667, l'ordonnance de Saint-Germain-en-Laye, qui s'intègre dans ce que l'on appelle le Code Louis (9) et qui réforme la justice civile, modifie en profondeur les règles de l'état civil. Huit articles (Titre XX, articles 7 à 14) complètent et précisent en effet les normes d'enregistrement des actes :

    • Les curés doivent désormais tenir tous leurs registres en double exemplaire.
    • La minute, c'est-à-dire le registre revêtu des signatures, doit être conservé dans la paroisse.
    • La grosse, copie authentifiée par le curé, doit être quant à elle être déposée au greffe. Les objectifs sont de limiter les pertes d'informations liées aux troubles, guerres, incendies ou dégradations par les rongeurs, et d'avoir des preuves écrites pour servir à la justice.
    • Les baptêmes, mariages et sépultures sont à enregistrer "en un même registre, selon l'ordre des jours, sans laisser aucun blanc". Auparavant, il existait le plus souvent trois registres différents.
    • Outre la signature du curé, les actes doivent être signés pour les baptêmes par le père de l'enfant, son parrain et sa marraine ; pour les mariages, par les époux et les quatre témoins (dont le lien éventuel avec les époux sera précisé dans l'acte) ; pour les sépultures, les deux plus proches parents ou amis du défunt. Si les personnes concernées ne savent pas écrire, elles doivent dessiner une croix sur le registre, le curé se chargeant de noter le nom de la personne à laquelle la marque appartient.

    Aux origines de l'état civil... Première partie : les registres paroissiaux.

    Exemple de registre paroissial avec papier timbré.

    Quatorze ans plus tard, l'ordonnance de 1680 fait explicitement figurer les registres paroissiaux au nombre des actes qui devront être dressés sur papier timbré (formalité instituée par le pouvoir royal pour s'assurer de l'authenticité des actes en 1673-1674). L’Edit d’octobre 1691 crée quant à lui de véritables greffiers de l’état civil, chargés de gérer les archives en recevant une copie du registre paroissial chaque année et  habilités à délivrer des extraits des actes mentionnés dans ces registres.

    Le Code Louis est complété au XVIIIème siècle par une importante déclaration, celle du 9 avril 1736. C'est la première loi en France portant exclusivement sur l'état civil. Cette déclaration rappelle les prescriptions édictées en 1667, qui n'avaient pas toujours été, loin s'en faut, bien appliquées dans les paroisses. Elle précise également de nombreux détails d'ordre matériel et formule quelques obligations nouvelles, entre autres celle d'établir simultanément les deux registres en double minute, recevant tous deux les signatures des curés, des parties et des témoins. L'Etat prend ainsi de plus en plus le contrôle de l'état légal des individus, principalement à des fins judiciaires.

    Enfin, un arrêt du Conseil du 12 juillet 1746 revient sur l'une des dispositions adoptées en 1667, en prescrivant de nouveau la tenue de registres séparés : baptêmes et mariages d'une part, sépultures d'autre part.

    4. Des registres pas toujours en conformité avec  les obligations légales.

    Les lois et les règles édictées par les autorités ecclésiastiques et le pouvoir royal n'ont pas toujours été scrupuleusement appliquées par les curés, d'où des discordances fréquentes entre les textes normatifs et les registres conservés.

    Ainsi, dans les registres de baptêmes (les plus anciens), les actes ont été très longtemps incomplets. Le jour de la naissance est par exemple très souvent omis. Certes, on peut le déduire en tenant compte de l'habitude qui prévalait de baptiser les enfants au plus tard un ou deux jours après leur naissance (mais ce n'était pas toujours la règle, notamment pour les familles issues de la noblesse. Les enfants étaient alors ondoyés (10) en attendant le baptême qui pouvait avoir lieu plusieurs semaines après la naissance). Le nom du père est pendant longtemps le seul indiqué et les curés n'indiquent parfois que le prénom de la mère. Il peut aussi arriver que ne figure que le parrain ou la marraine dans l'acte de baptême. Enfin, dans certains cas, le prénom même de l'enfant est manquant (surtout dans les copies des registres).

    En ce qui concerne les actes de mariage, les bans sont rarement mentionnés dans les registres, l'usage étant, le plus souvent et comme aujourd'hui, de célébrer le mariage dans la paroisse de l'épouse, avec la permission du curé de la paroisse de l'époux. Comme pour les actes de baptême, ils ne sont pas toujours d'une grande précision, surtout avant 1650. En général, plus le statut social des époux est important, plus l'acte est long et précis (11).

    Les actes de sépultures sont ceux qui sans conteste sont restés le plus longtemps imprécis et incomplets. L'âge du défunt et sa filiation sont bien souvent passés sous silence, en particulier pour les enfants, quand le curé n'oublie pas d'enregistrer le décès d'un enfant mort à la naissance ou juste après son ondoiement (obligation rappelée par le Parlement de Paris en 1714). La déclaration de 1736 contraint les curés à mentionner dans les actes d'inhumation le jour du décès, le nom et la qualité du défunt, et ce même si ce sont des enfants. La cause de la mort commence aussi à être plus souvent indiquée à cette époque (surtout pour les maladies ou les morts accidentelles).

    Outre les B.M.S., les registres paroissiaux  contiennent parfois des observations sur des sujets variés et divers : état de l'église, état des récoltes, remèdes contre des maladies, indications sur le climat et les cataclysmes naturels,  guerres, crimes, accidents... On peut aussi y trouver mention du passage de l'évêque, évènement souvent exceptionnel à cette époque, et qui donnait lieu à des confirmations en série (12). Enfin, il arrive que les curés dressent des listes de communiants ou des "états des âmes", autrement dit une liste de tous leurs paroissiens.

    Pour les généalogistes, les registres paroissiaux sont le plus souvent utilisables à partir de la fin du XVIIème siècle, étant donné les lacunes, pertes et destructions fréquentes des registres plus anciens. Avec la Révolution, les registres ne vont pas disparaître, les curés continuant de dresser des actes de baptêmes, mariages et sépultures, mais ils n'ont plus à partir de septembre 1792 de lien avec l'Etat, qui confie dès lors aux municipalités la tâche d'enregistrer les déclarations de naissance et de décès, ainsi que celle de célébrer les mariages, et ce quelque soit les convictions religieuses des citoyens... 

    Notes :

    (1) Un deuxième volet de cet article sera consacré aux registres des communautés juives et protestantes.

    (2) Les mariages étaient normalement interdits entre cousins et ce jusqu'au septième degré, sauf dérogation accordée par les autorités ecclésiastiques. Il était aussi interdit de se marier entre parrain et marraine, entre parrain et filleule, ou encore entre marraine et filleule : c'est la parenté spirituelle.

    (3) D'où de nombreux registres très anciens qui sont conservés encore aujourd'hui aux archives départementales de Rennes. On peut ainsi consulter en ligne des registres de la seconde moitié du XVIème siècle.

    (4) Les synodes sont des réunions d'évêques.

    (5) Un bénéfice ecclésiastique est une charge au sein de l'Eglise catholique qui rapporte des revenus à celui qui le possède.

    (6) le bailliage ou la sénéchaussée (le nom diffère selon les provinces du royaume, le terme de bailliage étant plus fréquent dans le Nord et celui de sénéchaussée dans le Sud) est une entité territoriale de base dans la France d'Ancien Régime (circonscription administrative, financière et judiciaire), en lien avec la charge de bailli ou de sénéchal (l'un des rouages de l'administration royale proches des habitants, qui s'occupait entre autre des affaires judiciaires courantes).

    (7) Le concile de Trente est une réunion d'évêques décidée par le pape. ce concile a eu lieu de 1545 à 1563 dans la ville de Trente, en réponse à la Réforme protestante et pour réaffirmer certains des dogmes de l'Eglise catholique, tout en réformant un certain nombre de points de sa discipline.

    (8) D'où l'abréviation B.M.S. .

    (9) En hommage à Louis XIV (1643-1715), c'est un ensemble de textes destinés à réformer la justice civile et criminelle et à mettre en ordre les lois et juridictions du royaume en la matière.

    (10) L'ondoiement était pratiqué souvent par les sage-femmes pour les enfants en danger de mort, afin de leur éviter les Limbes.

    (11) Les actes de mariage ne mentionnent pas toujours l'âge des époux, le nom de leurs parents ou encore leurs liens avec leurs témoins, surtout dans les actes de mariage des plus humbles.

    (12) Y compris de personnes d'un âge avancé...

    Sources des images : 

    http://www.meylan.fr/

    http://www.givry-bourgogne.fr/

    http://www.loire.fr/

    http://www.vulaines-sur-seine.fr/

     

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